En ce moment je fais du classement ... et je retrouve cet article que je remets en avant.
Tiens ! Un tout p'tit carton qui tient dans une main !
Mon diplôme, le plus important pour moi ... et ma vie.
En principe il faut trois ans d'études en "couture Flou" c'est à dire sur mesures, vêtements dames.
Mais une seule année, en même temps qu'une seconde terminale, m'ont suffit pour décrocher ce petit carton ! j'ai toujours été douée avec les aiguilles, j'ai dû naître un dé au doigt !
A l'école, l'apprentissage de la couture faisait partie des matières comme l'histoire ou les maths.
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Ce n'est que dans les années 90 que j'ai pu utiliser ce diplôme pour gagner vraiment ma vie, embauchée en tant que vendeuse-retoucheuse dans le magasin Pronuptia à Amiens, robes de mariée et toilettes de cérémonies.
Il fallait être douée et rapide, pas le droit à l'erreur.
Voici un exemple :
La futur mariée doit commander sa robe longtemps à l'avance, elle fait taille 40, la robe arrive à une date proche du mariage. A l'essayage je découvre que la future mariée est ... enceinte ! pas le temps de commander une robe plus grande, c'est cette robe là et pas une autre. Je dois donc la passer de la taille 40 à la taille 46 ! avec mes aiguilles magiques je dois faire des miracles.
J'étais quasiment seule à vendre et retoucher, je n'ai pas chômé pendant ces huit années mais j'étais dans mon élément, cela me plaisait. J'y ai vécu des moments inoubliables.
Comme celui-ci par exemple :
"Un soir, juste avant la fermeture du magasin entrent une maman, un papa, le futur marié et enfin la future mariée ... en fauteuil roulant, entièrement paralysée suite à un accident de la route. Cette jeune fille était d'une beauté à couper le souffle. Sa vie se termine, ses heures sont comptées et les amoureux veulent se marier ... avant.
Mon jeune patron ne sachant que dire que faire, me les confie et me laisse seule avec cette famille éprouvée ... et toute l'émotion qui l'accompagne.
La belle demoiselle choisit la plus jolie robe. Il faut l'allonger délicatement sur ma grande et large table de couture, dans l'atelier qui est à l'abri des regards. On s'y met à quatre, puis il faut attendre un long moment que son corps ne tremble plus ... Avec la maman, je lui enfile la robe.
Nous l'installons de nouveau dans son fauteuil roulant pour la conduire dans la boutique, devant la grande glace.
Elle est si belle, la robe lui va si bien que mon patron, les quelques clients encore là, les parents, moi, tout le monde, nous fondons en larmes d'émotion, mais pas de tristesse car la mariée est radieuse et souriante, heureuse.
Je regarde le plus rapidement possible ce qu'il faut faire comme retouches, elles sont nombreuses et impossible de lui mettre d'épingles et il n'y aura pas de deuxième essayage, trop pénible et douloureux pour elle.
J'ai retouché cette robe avec grande minutie ... en pensant sans cesse à cette jolie jeune fille qui la porterait et l'importance pour elle et sa famille de ce mariage avec cette jolie robe en taffetas de soie. Mariage en urgence car ses jours étaient comptés..."
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Des histoires comme celles-là, il y en a eu beaucoup durant ces années dans le blanc, le tulle, les fleurs de soie. De grands moments de joie, d'autres plus difficiles, je devenais alors consolatrice, psychologue, discrètement cachée avec la mariée dans la grande cabine d'essayage. J'ai appris que pour certaines jeunes filles étrangères, le mariage est encore organisé par les familles.
Oui, couturière est un métier, une passion, mais pas reconnu, payé au minimum même chez les grands couturiers.
Cette matière a été supprimée à l'école depuis déjà longtemps.
Et puis un soir, en écoutant les infos ...
Je vois, j'entends, que dans cette usine Armor Lux de Quimper, ils sont en panne de couturières ! Pas de remplaçantes pour celles en âge de la retraite.
Logique, on n'apprend plus à coudre à l'école, je me demande s'il y a encore une école de couture quelque part ? à présent tous nos vêtements sont confectionnés en Chine ou ailleurs.
Vous qui aimez coudre, vous qui avez des doigts d'or, ne perdez pas espoir, la couture revient à la mode. Mais à Amiens, il n'y a plus qu'un seul magasin de tissus de vêtements, sans grand choix en plus. Il faut aller sur Paris.
Le dé au doigt, je continue d'user mes aiguilles avec des broderies et autres.
Ma "Symphonie des chats"
Caroline, ma cadette a fait aussi des études de couture, confection puis sur mesures. Etudes plus approfondies et plus longues que les miennes, à Laon dans l'Aisne, la seule école dans tout le nord de la France. Etudes complétées par des stages chez Christian Lacroix. Mais elle ne peut pas vivre de sa passion, son travail se passe devant un ordinateur, comme beaucoup.
Aujourd'hui, 13 juillet 2020, je remets cet article en avant, il est important pour moi. Il raconte ma passion et celle de ma fille. C'était aussi le métier de ma mère, de ma grand-mère ... de mères en filles.